Le moment est-il venu d’élargir l’indication de la thrombectomie aux AVC très étendus ?

La thrombectomie mécanique endovasculaire a transformé le pronostic fonctionnel des accidents vasculaires cérébraux (AVC) ischémiques étendus touchant en général (mais pas toujours) les principaux troncs artériels de la circulation cérébrale antérieure.
Thrombectomie endovasculaire : les recommandations actuelles
Ses indications sont en règle sélectives et guidées par toute une série de critères glanés au gré des grands essais randomisés qui ont établi son efficacité. La clinique est au premier plan, mais les résultats de l’imagerie cérébrale généralement multimodale sont néanmoins déterminants. En principe, il importe que l’AVC soit étendu… mais pas trop, le score tomodensitométrique ASPECTS (Alberta Stroke Program Early Computed Tomographic Score ; valeurs comprises entre 0 et 10, inversement corrélées à l’étendue de l’ischémie) devant être d’au moins 6. Ce score présente l’avantage d’être calculé sur un scanner cérébral sans injection de produit de contraste, sans sophistication méthodologique incompatible avec la pratique courante.
Il n’en reste pas moins que les AVC trop étendus, ceux dont le score ASPECTS est inférieur à ce seuil, sont souvent récusés dans la pratique courante en raison d’un rapport bénéfice/risque incertain, alors qu’ils peuvent concerner jusqu’à 25 % des patients admis dans les unités neurovasculaires. Pourtant, selon certaines méta-analyses récentes et des essais tout aussi récents, ces AVC seraient injustement récusés, alors même qu’ils pourraient probablement bénéficier de la thrombectomie endovasculaire, le niveau de preuve étant cependant insuffisant pour que l’information soit intégrée dans les recommandations officielles. Les études en question portaient sur des patients sélectionnés selon des critères discutables ou difficiles à généraliser.
Un essai multicentrique international interrompu prématurément à juste titre
D’où l’intérêt d’une étude randomisée multicentrique internationale ouverte dans laquelle ont été inclus 253 patients victimes d’un AVC ischémique étendu, touchant la circulation cérébrale antérieure. Quarante hôpitaux européens ont participé à l’étude, ainsi qu’un hôpital canadien.
Le score ASPECTS, compris entre 3 et 5, témoignait d’une ischémie étendue dépassant les indications actuelles de la thrombectomie. Dans les 12 heures qui ont suivi les premiers symptômes neurologiques, deux groupes ont été constitués par tirage au sort : traitement médical optimal (n=128) ou thrombectomie (n=128). C’est l’état fonctionnel évalué au 90ème jour à l’aide de l’échelle de Rankin modifiée (1= pas de déficit ; 6=décès) qui a constitué le critère de jugement principal. Les données ont été analysées dans l’intention de traiter, à l’exception de celles relevant des évènements indésirables, tous les patients étant alors pris en compte.
L’essai a été interrompu prématurément, à l’occasion d’une analyse intermédiaire des résultats qui était indéniablement en faveur de l’efficacité de la thrombectomie. Au 90ème jour, cette dernière a en effet été associée à un pronostic fonctionnel plus favorable, comme en témoignaient les valeurs plus basses des scores sur l’échelle de Rankin modifiée, l’odds ratio ajusté correspondant étant de fait estimé à 2,58 [IC 95 % 1,60-4,15], p=0,0001. Une moindre mortalité a été également observée dans le même groupe, le hazard ratio étant de 0,67 [IC 95 % 0,46-0,98], p=0,038. L’incidence des hémorragies intracrâniennes symptomatiques s’est avérée voisine dans les deux groupes (6 % versus 5 %).
Le rapport bénéfice/risque de la thrombectomie endovasculaire chez les patients victimes d’un AVC ischémique étendu de la circulation cérébrale antérieure apparait favorable, quand bien même le score ASPECTS est bas, en l’occurrence compris entre 3 et 5. L’étude a été interrompue prématurément devant les résultats concluants d’une analyse intermédiaire des données. Faut-il désormais élargir les indications de ce traitement en tenant compte de ces résultats ? La question apparaît légitime, a fortiori si l’on y ajoute ceux des essais et des méta-analyses qui ont conduit à la réalisation de l’étude ici rapportée.
Source : JIM