Antécédents de fausse couche à répétition : l’HBPM n’est pas la solution

Les fausses couches à répétition, définition retenue après la survenue de deux pertes fœtales ou plus, affectent 3 % des femmes en âge de procréer entraînant un retentissement physique et psychologique important. Le rôle des anomalies de thrombophilie a pu être impliqué dans la survenue de ces fausses couches à répétition, en invoquant une action thrombotique possible au niveau de la microcirculation placentaire et/ou une inhibition de la différentiation des microvillosités trophoblastiques (Ref1).
Au cours du syndrome des anti-phospholipides, anomalie de thrombophilie acquise responsable de 15 % environ des fausses couches à répétition, les recommandations internationales préconisent l’utilisation d’héparine qui a montré son efficacité au cours de la grossesse. Par analogie et bien qu’il n’y ait pas de recommandation internationale, de nombreux cliniciens utilisent aussi l’héparine chez les femmes enceintes ayant présenté des fausses couches à répétition et une anomalie de thrombophilie constitutionnelle.
Néanmoins aucun protocole prospectif contrôlé n’a pu jusqu’à présent être entrepris dans cette situation permettant de valider ou non cette attitude : développer un tel protocole comparant l’efficacité de l’héparine de bas poids moléculaire au traitement standard a donc été l’objectif de l’étude dont nous rapportons ici les résultats.
Cette étude dite ALIFE2 était une étude ouverte multicentrique internationale et randomisée. En accord avec les dernières recommandations européennes pour la caractérisation du concept de fausses couches à répétition (Ref2), les patientes âgées de 18 à 42 ans et ayant eu au moins 2 fausses couches (FC) et par ailleurs une anomalie de thrombophilie héréditaire étaient éligibles.
Début de grossesse chez plus de trois cents patientes avec des antécédents de fausse couche à répétition et une anomalie de thrombophilieAinsi, entre août 2012 et janvier 2021, sur 10 625 patientes considérées, 428 ont été enregistrées et 326 ayant démarré une grossesse ont pu être incluses dans l’étude. Les patientes étaient suivies dans des centres hospitaliers des Pays-Bas (n = 134) ou du Royaume-Uni (n = 192). Les anomalies de thrombophilie concernées étaient une mutation de type V Leiden hétérozygote (n = 184) ou homozygote (n = 5), une mutation G20210A sur le gène de la prothrombine hétérozygote (n = 83) ou homozygote (n = 2), un déficit en antithrombine (n = 7), en protéine C (n = 13) ou en protéine S (n = 44). Plusieurs anomalies étaient constatées chez 12 patientes.
Les patientes ont été randomisées (selon un rapport 1:1) pour recevoir ou non des héparines de bas poids moléculaire (HBPM) à faible dose (en plus du traitement standard dans les deux groupes) après confirmation biologique de leur grossesse. L’HBPM était commencée à 7 semaines de gestation ou avant et poursuivie jusqu’à la fin de la grossesse. Les HBPM étaient utilisées à raison de 40mg/J ; il n’y avait pas d’adaptation de la posologie selon le poids mais les patientes ayant un poids inférieur à 50Kg étaient exclues de l’étude. Le clinicien était libre du choix de l’HBPM : énoxaparine 40mg (Clexane [Sanofi-Aventis, Paris, France] ou Inhixa [Techdow Pharma, Guildford, UK]), dalteparine 5000 UI (Fragmine [Pfizer, Sandwich, UK]), tinzaparine 4500 UI (Innohep [Leo Pharma, Ballerup, Denmark]), ou nadroparine 3800 UI (Fraxiparine, [GlaxoSmithKline, London, UK]). L’HBPM était administrée en auto-injection en sous-cutané et arrêtée en début de travail. Le critère principal de jugement de l’étude était le taux de grossesses menées à terme.
Au cours de cette étude, 164 femmes outre le traitement standard ont reçu l’HBPM et 162 le traitement standard seul. L’âge moyen était de 33 ans (écart-type : 5,3 ans) et un tiers des femmes avaient plus de 36 ans. Avant l’étude, le taux médian de FC était de 3 (2-4) et deux-tiers des femmes avaient eu 3FC ou plus. Comme mentionné plus haut, l’anomalie de thrombophilie la plus fréquente était la mutation de type V Leiden à l’état hétérozygote, puis la mutation G20210A sur le gène de la prothrombine et enfin le déficit en protéine S. L’aspirine à faibles doses a été administré chez 36 patientes (11 %). L’HBPM la plus prescrite était l’enoxaparine (73 %), puis la dalteparine (18 %), la tinzaparine (8 %) et enfin la nadroparine (1 %).
Pas davantage de grossesses à terme dans le groupe recevant l’HBPMLes résultats concernant le critère principal de jugement ont été disponibles chez 320/326 patientes (98 %); le taux de grossesses menées à terme était de 72 % (116 /162) dans le groupe recevant l’HBPM et de 71% (112/158) dans celui recevant le seul traitement standard. Il n’a donc pas été mis en évidence de différence significative entre les deux groupes : l’odd ratio étant de 1, 04 ou de 1,08 après analyse ajustée (selon l’âge de grossesse, le nombre de FC dans les antécédents,le type de service hospitalier prenant en charge les patientes…). Soit une différence absolue de risque entre les 2 groupes de 0,7%.
S’agissant des autres critères de jugement dits secondaires : il faut noter que le nombre de pertes fœtales ou celui de complications obstétricales (incluant en particulier le taux de prématurité ou le retard de croissance intra-utérin, la survenue de pré-éclampsie ou de HELLP syndrome) était similaire dans les deux groupes de patientes de même que le taux de complications hémorragiques sévères. Aucun cas de thrombopénie induite par l’héparine ni d’effets secondaires sérieux en rapport avec le traitement par HBPM n’a été à déplorer. Comme attendu la présence d’ecchymoses faciles a été notée chez 45% des femmes sous HBPM (essentiellement hémorragies autour des points d’injection) par rapport à 10% des femmes sans HBPM.
Ainsi cette étude, randomisée en ouvert, multicentrique, internationale montre que le traitement par HBPM n’induit pas de différence significative dans le taux de grossesses menées à terme chez des patientes ayant fait des fausses couches à répétition et ayant une anomalie de thrombophilie. Cette étude, est la première étude randomisée dans cette situation clinique : elle était attendue de longue date mais particulièrement difficile à mener puisque 8 années ont été nécessaires pour inclure le nombre de patientes requis et ce à partir de nombreux centres au Royaume Uni (n = 22 ou aux Pays-Bas (n = 10).
Si des études observationnelles antérieures portant sur de petits nombres de patients avaient montré des résultats contradictoires quant à l’efficacité des HBPM dans cette indication, cette étude randomisée portant sur une cohorte de patientes adéquate au plan statistique vient confirmer les résultats d’une méta-analyse ayant considéré les résultats des 8 principales études de la littérature (Ref 3). Par ailleurs, une étude tout à fait récente avec revue de la littérature a montré que les anomalies de thrombophilie n’influaient pas de façon significative sur le taux des FC (Ref 4).
Compte-tenu de l’ensemble de ces données, les auteurs ne conseillent donc pas l’utilisation des HBPM ni la recherche des anomalies de thrombophilie dans ce groupe de patientes ayant présenté des FC à répétition.
Source : JIM