Traumatismes graves : et si nous revenions au sang total ?

L’hémorragie reste la principale cause de décès hospitaliers évitables après une blessure dans les centres de traumatologie civils américains pour adultes, avec 40 % des décès dans les 24 premières heures. La coagulopathie induite par le traumatisme joue un rôle substantiel dans ces décès liés aux hémorragies, avec une mortalité associée pouvant atteindre 50 %. Les stratégies actuelles de réanimation soulignent l’importance d’une approche transfusionnelle équilibrée entre des composants sanguins séparés pour atténuer les effets néfastes de la coagulopathie. Le protocole de transfusion massive (PTM), une stratégie fondée sur des preuves de transfusion de dérivés sanguins (CT) à ratio élevé qui tente de reproduire la composition du sang total (ST), est associé à une amélioration de l’hémostase et à une réduction des décès par hémorragie grave. Logiquement, la transfusion de ST devrait conférer les mêmes avantages.
Une pratique centenaire
Les fondements de la transfusion de sang total se trouvent dans la médecine militaire depuis la Première Guerre mondiale. Cependant, peu après la guerre du Vietnam, les banques de sang civiles ont progressivement abandonné les stocks de ST pour se tourner vers l’utilisation systématique et massive de cristalloïdes et de composants sanguins fractionnés dans le choc hémorragique. Au fil du temps, les inconvénients des cristalloïdes et les limites des composants sanguins fractionnés ont été mis à jour. L’expérience militaire moderne a été créditée de la résurgence de l’utilisation du ST, principalement en raison du défi logistique de la fourniture de dérivés sanguins lors d’un conflit militaire actif. Des études rétrospectives ont démontré l’aspect pratique de l’application militaire du ST avec un profil hémostatique plus favorable et une amélioration de la survie. En conséquence, le ST gagne également du terrain dans le cadre civil pour la prise en charge des hémorragies graves, mais les preuves d’un bénéfice supplémentaire font défaut.
Une étude rétrospective sur plus de 2 500 traumatisés
L’objectif de cette étude de cohorte rétrospective était de déterminer si la transfusion de ST en complément d’un PTM basé sur des dérivés sanguins comparée à un PTM seul est associée à une meilleure survie chez des civils victimes de traumatismes présentant une hémorragie grave. Les auteurs ont émis l’hypothèse d’une amélioration de la survie à 24 heures et à 30 jours sans augmentation des complications majeures.
Ont été inclus 2 785 adultes traumatisés admis aux Urgences de centres de traumatologie civils américains et canadiens avec une hémorragie grave (pression artérielle systolique (PAS) inférieure à 90 mmHg, indice de choc >1, administration de 4 unités de globules rouges ou plus dans l’heure suivant l’arrivée) qui ont reçu une MTP dans les 24 premières heures. Les patients brûlés, décédés dans l’heure suivant l’arrivée aux urgences et transférés à un autre établissement ont été exclus.
Un bénéfice rapide et durable
Parmi les patients inclus, 432 (15,5 %) l’étaient dans le groupe ST-PTM (hommes 78 % ; âge médian 38 ans [IQR, 27-57 ans]) et 2 353 (84,5 %) dans le groupe PTM seul (hommes 77 % ; âge médian 38 ans [27-56 ans]). Les deux groupes comprenaient des patients gravement blessés (score médian de gravité des blessures 28 [IQR 17-34] ; différence médiane 1,29 [intervalle de confiance IC 95 %, -0,05 à 2,64]). Dès la 5ème heure suivant l’admission aux Urgences, une meilleure courbe de survie s’est dégagée pour le groupe ST-PTM. La stratégie ST-PTM a été associée à une amélioration de la survie à 24 heures, avec un risque de mortalité inférieur de 37 % (risque relatif RR 0,63 ; IC 95 % 0,41-0,96 ; p = 0,03). Fait notable, le bénéfice en termes de survie associé au ST-PTM est resté constant à 30 jours (HR 0,53 ; IC 95 % 0,31-0,93 ; p = 0,02).
Cette étude comporte des limites telles l’analyse rétrospective d’une base de données nationale ne pouvant pas être interprétée comme un lien de causalité, le manque de données biologiques (paramètres de coagulation, lactates…) et concernant l’administration d’acide tranéxamique et de produits sanguins en préhospitalier. Enfin, la faible quantité totale de ST administrée à chaque patient (médiane 1 unité ; IQR 1-1 unité) peut interroger quant à l’interprétation du bénéfice de survie associé à une seule intervention. Cependant, le mécanisme sous-jacent du bénéfice de survie pourrait être lié à la correction plus rapide et plus efficace de la coagulopathie.
En conclusion, ces résultats sont importants d’un point de vue clinique sous réserve d’autres études afin de déterminer les sous-groupes de blessés qui tireraient le plus de bénéfices de cette stratégie. Il s’agit d’une première étape essentielle dans le retour du sang total, en complément, chez les traumatisés victimes d’une hémorragie grave.
Source : JIM