Les virus sont-ils vivants ?

Qu’est ce qu’un virus ? Comment les a-t-on découvert ? Comment se répliquent-ils ? En quoi les virus géants ont-ils modifié notre perception des virus ? Et quelle est leur place dans l’arbre du vivant ?
Le virus est une structure biologique de très petite taille (couramment de 10 à 100 nanomètres de diamètre). Sa pièce maîtresse est une molécule portant l’information génétique : ADN ou ARN. Ce matériel génétique est protégé généralement par une capside (des protéines) et parfois recouvert d’une enveloppe. Le virus ne possède pas de machinerie cellulaire pour assurer sa propre multiplication : il a besoin de pénétrer dans une cellule hôte pour se répliquer et donc survivre. L’univers des virus est très hétérogène car leur structure et leur génome sont très variés ; leur présence est observée à la fois dans des cellules végétales, animales ou dans des bactéries. Enfin, les virologues parlent de communauté virale plutôt que de virus, car un virus s’observe rarement seul.
Les virus, ennemis ou amis ?
Les virus véhiculent une image négative car les biologistes les ont d’abord trouvés chez des plantes, des animaux ou des hommes malades. Or, en 2018 par exemple, sur 6590 espèces de virus répertoriés, 129 étaient pathogènes chez l’humain. Mais des facteurs comme la déforestation ou le réchauffement climatique pourraient contribuer à en faire émerger davantage. Au-delà des maladies infectieuses classiques, certains virus dit oncogènes ont la capacité de rendre cancéreuses les cellules qu’ils infectent. Le papillomavirus en est un exemple. Seuls remèdes à ces maladies : les vaccins et les antiviraux. Voilà pour la face sombre des virus.
Avec le développement des techniques en biologie, les scientifiques ont découvert leur présence dans tous les milieux de l’océan et jusqu’au cœur de nos microbiotes. Ils les perçoivent de plus en plus comme des régulateurs des écosystèmes ou comme des moteurs de l’évolution.
Leur capacité à pénétrer les cellules et à utiliser la machinerie cellulaire a été mise à profit pour développer de nouveaux traitements thérapeutiques. Dans le cas de thérapies géniques, le virus modifié sert de vecteur pour remplacer un gène défectueux par un gène normal. Des chercheurs espèrent aussi utiliser des virus dits oncolytiques pour tuer des tumeurs. Autre exemple avec la phagothérapie, une technique ancienne qui revient sur le devant de la scène : il s’agit d’utiliser les virus qui infectent les bactéries — les bactériophages — pour éliminer les bactéries multirésistantes (BMR) aux antibiotiques.
Le virus, une “particule” si petite qu’elle passe à travers un filtre
La caractéristique principale des virus, à laquelle on doit leur découverte, est leur capacité à traverser des filtres imperméables aux bactéries. C’est ainsi qu’a été identifié le premier virus : le TMV virus de la mosaïque du tabac. Trois scientifiques ont contribué à cette découverte : en 1879, le chimiste allemand Adolf Mayer montre que “la mosaïque du tabac” est une maladie transmissible de la plante. Huit ans plus tard, le biologiste russe Dimitri Ivanokski met en évidence qu’un extrait de plante malade passé au filtre est toujours contagieux. Puis, le Néerlandais Martinus Beijerinck observe que l’agent de la maladie ne se cultive pas en milieu synthétique comme les bactéries ou les champignons, mais est capable de se multiplier sur un hôte. Il pense être face à un nouveau type d’agent infectieux. Mais son idée passe mal dans la communauté scientifique ; même Pasteur, qui travaille sur la rage, n’y croit pas. Appelés d’abord agents ultra-filtrants, ils deviennent sous la plume de Beijerinck des “virus filtrants” (du latin virus qui signifie poison). Ils sont de petites tailles, passent à travers un filtre et ont besoin d’un hôte vivant pour se reproduire. Cette première définition va évoluer avec la découverte d’autres virus (fièvre aphteuse 1895, fièvre jaune 1927), ainsi que les premières images obtenues en microscopie électronique (1939) et les progrès de la biologie moléculaire. Grâce à cette discipline, les chercheurs vont comprendre leur mécanisme de reproduction.
Plus qu’une structure, le virus se définit par son cycle
Parasites stricts, les virus se multiplient au sein des cellules hôtes par réplication de leur ARN ou ADN. Cette multiplication virale se fait en plusieurs étapes. L’attachement ou adsorption : le virus entre en contact avec la cellule hôte, avant de pénétrer à l’intérieur. Après cette phase, toutes les structures virales sont dégradées, à l’exception du génome viral (ARN ou ADN) qui se trouve libéré. Vient ensuite la réplication : le génome viral va reproduire tous ses composants structuraux en utilisant la machinerie cellulaire hôte. Ensuite, toutes les parties du virus vont se reconstituer : c’est la phase de l’assemblage. Et enfin, ces nouveaux virus sortent de la cellule par bourgeonnement ou par éclatement. On parle alors de libération.
Cette illustration de Nature donne un exemple d’un cycle viral avec la réplication du VIH (Virus de l’immunodéficience humaine), un virus à ARN (rétrovirus) possédant à la fois une capside et une enveloppe. Le génome des rétrovirus a la particularité de pouvoir s’insérer à l’intérieur du génome de la cellule infectée.
Un virus peut pénétrer dans une cellule et ne pas se répliquer tout de suite. C’est le cas du virus de l’herpès qui, au cours de son cycle réplicatif, passe alternativement par une phase où le génome viral ne produit aucune particule virale infectieuse, et une phase de réactivation, nécessaire à la production et à la dissémination du virus infectieux. De même, le cycle productif n’aboutit pas forcément à la mort de la cellule hôte, et les virus ne provoquent pas tous des infections en pénétrant dans une cellule.
Pour un virologue, c’est l’ensemble des formes biologiques observées au cours de ces cycles qu’il appellera virus. À ne pas confondre avec le virion, la forme libre du virus. Dans le langage courant, virus et virion, se confondent.
Les virus géants (girus) rebattent les cartes
Identifié en 1992 dans des amibes libres colonisant l’eau de systèmes d’air conditionné, le premier virus géant a été caractérisé morphologiquement en 2003. Et son génome séquencé en 2004. Baptisé Mimivirus, il fait tomber un premier dogme chez les biologistes, en étant incapable de passer à travers des filtres. Et pour cause : il mesure 400 nanomètres de diamètre et est donc visible en microscopie optique. La taille de son génome elle aussi est impressionnante : 1.200.000 paires de bases, soit deux fois plus que le plus gros génome bactérien connu. En dehors de ces considérations de taille, ce virus dispose de presque toute la machinerie cellulaire. Il ne lui manque que les ribosomes, ces structures complexes constituées de protéines et d’ARN qui servent d’usine de synthèse des protéines. Autre nouveauté : ces bases codent notamment pour sept gènes retrouvés dans tous les organismes vivants. Au final, il leur reste peu de points communs avec leurs aînés, excepté la nécessité d’infester un hôte pour se répliquer.
En 2008, les virus géants vont confirmer leur originalité : ils sont capables d’être eux-mêmes infectés par des virus plus petits, que les virologues nomment virophages. Avec ces découvertes s’ouvre un nouveau champ de recherche.
Quelle est la place des virus dans l’arbre du vivant ?
Dans les années 1990, le microbiologiste américain Carl Woese révolutionne la structure de base de l’arbre phylogénétique du vivant en proposant trois lignées distinctes d’organismes vivants : les archées, les eucaryotes et les bactéries. Cette nouvelle classification est basée sur l’analyse phylogénétique d’une séquence d’un ARN ribosomique. Les virus ne possédant pas de ribosomes, et étant donc dépourvus de cette séquence, ils ne sont pas présents dans cet arbre. D’ailleurs pour certains biologistes, ils n’appartiennent même pas au monde vivant puisque ce se sont, selon eux, des macromolécules auto-organisées dénuées de machinerie enzymatique propre et incapables de fabriquer ou de dégrader des molécules organiques pour assurer leur besoin en énergie. Pour d’autres spécialistes, qui prennent en compte non pas le virion mais le virus, c’est-à-dire l’ensemble du cycle viral, cette structure biologique répond bien à la définition d’un être vivant : comme toute espèce, ils sont capables de se multiplier, d’évoluer et d’échanger énergie et matière avec leur milieu. Certains scientifiques ont développé le concept de “virocell”, de virus contrôlant la cellule.
D’autres chercheurs enfoncent le clou en rappelant que les virus sont eux-mêmes infectés par d’autres virus et qu’à ce titre, ils subissent comme tout organisme vivant une pression sélective. D’autres arguments plaident en faveur de leur intégration à l’arbre du vivant : sur Terre, le matériel génétique le plus abondant est d’origine viral. En outre, les virus géants possèdent des gènes en commun avec l’ensemble des organismes vivants. On a d’ailleurs montré que des séquences génétiques de virus sont essentielles aux mammifères. Et des études laissent à penser que nous avons hérité des virus une molécule, l’ADN, ainsi qu’une structure, le noyau de la cellule, et deux enzymes. Aujourd’hui, l’arbre phylogénétique du vivant est toujours formé de trois branches principales. Une quatrième branche sera-t-elle consacrée aux virus ? Le débat est ouvert.
Source : sciencesetavenir.fr