Un homme né avec la tête inversée aide la science à comprendre pourquoi nous reconnaissons mieux les visages à l’endroit

Notre grande faculté à reconnaître les visages baisse fortement lorsqu’ils sont présentés à l’envers. Un effet de notre expérience depuis la naissance ? Certes, mais également de l’Evolution, d’après de nouveaux travaux réalisés avec un homme dont le handicap le contraint à voir le monde à l’envers depuis toujours.
Notre capacité à mieux reconnaître un visage à l’endroit qu’à l’envers est en partie issu d’un avantage évolutif, et pas uniquement de l’expérience accumulée depuis la naissance, conclut une nouvelle étude publiée dans la revue iScience
Un homme qui voit le monde à l’envers
A 42 ans, Claudio souffre d’une malformation articulaire congénitale qui lui renverse la tête en arrière, à 180°. Un handicap qui, dans le contexte de l’étude de la reconnaissance des visages, devient un atout précieux. “Lorsque mon collègue et co-auteur Tirta Susilo a vu un article de journal sur Claudio, il a immédiatement su que ses données pourraient être très intéressantes”, se souvient Brad Duchaine, professeur de psychologie et neurosciences à l’université de Dartmouth (Etats-Unis). “C’est la toute première étude portant sur un sujet dont la perception est inversée depuis la naissance.”
Car Claudio, contrairement à la plupart des êtres humains, à toujours vu les visages de ses pairs à l’envers. Chez un humain sain, la capacité à reconnaître des visages peut chuter de 20 à 25% lorsqu’ils sont présentés inversés. Si ce résultat était uniquement l’effet d’une expérience accumulée depuis l’enfance dans la reconnaissance des visages à l’endroit, alors Claudio devrait montrer le résultat inverse : une moins bonne performance lorsque les visages lui sont présentés à l’endroit. Mais ce n’est pas ce que les chercheurs observent.
L’Evolution a influé sur notre capacité à reconnaitre des visages
Claudio reconnait certes mieux les visages à l’envers que les sujets sains, mais pas plus que les visages droits. Sa performance est finalement quasiment identique quelle que soit l’orientation de la face. Si Claudio n’est pas moins à l’aise avec les visages droits qu’avec les visages inversés, qu’il a vus toute sa vie, c’est que l’expérience seule ne suffit pas à expliquer la faculté humaine à reconnaître des visages en fonction de leur orientation. “Cela suggère que notre grande sensibilité aux visages à l’endroit résulte à la fois de notre plus grande expérience de ces visages et d’une composante évolutive qui rend notre système visuel mieux adapté aux visages à l’endroit qu’aux visages inversés”, conclut Brad Duchaine.
La détection des visages “Thatchérisés” ne serait pas sélectionnée par l’Evolution
Pour aller plus loin, l’équipe montre également à Claudio des visages dit “Thatchérisés”, c’est-à-dire dont les yeux et la bouche sont inversés par rapport à l’orientation du visage. La Thatchérisation a été nommée d’après des travaux réalisés en 1980 à l’université de York (Angleterre) qui utilisaient une photographie de l’ancienne Première ministre britannique Margaret Thatcher. L’idée est qu’il nous est facile de détecter un visage Thatchérisé lorsqu’il est à l’endroit, mais plus difficile lorsqu’il est à l’envers. A la surprise de Brad Duchaine et son équipe, Claudio obtient un score normal avec les visages à l’endroit et pointe même mieux les visages Thatchérisés à l’endroit qu’inversés. “Je m’attendais à observer des effets similaires pour tous les types de tâches de reconnaissance de visages”, se souvient le chercheur.
Pour l’équipe, cette différence signifie sans doute que la reconnaissance des visages Thatchérisés ne relève pas du même mécanisme que la reconnaissance des visages normaux. “La capacité à détecter les visages droits et à reconnaître l’identité faciale dans les visages droits a probablement été sélectionnée dans des environnements ancestraux, alors que l’identification des visages de Thatcher n’est pas une tâche naturelle”, avancent les auteurs. La détection des visages de Thatcher pourrait ainsi être plus proche de la résolution de problèmes visuels et donc moins dépendante de processus évolutifs liés aux visages.
Prochaine étape pour les chercheurs : l’examen de la perception des visages à l’endroit et à l’envers chez Claudio pour d’autres aspects de la perception des visages (expression, âge, sexe, attractivité, etc.) assorti d’un suivi oculaire. Avec en tête, outre la meilleure compréhension de notre faculté à reconnaître les visages, des avancées sur les déficits développementaux qui ont un impact sur le traitement des visages, comme la prosopagnosie .
Source : sciencesetavenir.fr